Les élections américaines en 10 questions

Quel scénario est intégré par les marchés ?

16 octobre 2020

Commençons par un paradoxe en forme de question : pourquoi les marchés américains montent quand la probabilité de victoire de Biden augmente ? Pourquoi à l’inverse le cas de COVID-19 de Trump a fait baisser les marchés lors de son annonce ? Examinons les différents aspects des impacts marchés potentiels et de ce qui semble déjà intégré dans la formation des prix et des anticipations de marché. En filigrane, gardons une idée simple en tête : le scenario marché que l’on peut anticiper de manière rationnelle ne se produit pas nécessairement, simplement parce qu’il est parfois joué en amont, et que la levée de l’incertitude produit souvent un rebond quel que soit le résultat. Au delà de la préférence d’un candidat face à un autre les marchés détestent avant tout l’incertitude, et risquent de n’intégrer les éventuels effets des réformes fiscales de Biden qu’en plusieurs étapes, comme en 2016-2017.

Moyenne des sondages nationaux

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Sources: Realclearpolitics, Indosuez Wealth Management

1. Quel devrait théoriquement être l’impact marchés attendu des différents scénarios électoraux?

En théorie, on peut dessiner les impacts suivants des différents scénarios :

  • Victoire de Biden sans majorité au Sénat : scénario constructif pour les marchés, qui anticipent un stimulus fiscal, sans pour autant craindre de fortes hausses d’impôts en l’absence de majorité ; ce scenario serait plutôt favorable aux valeurs cycliques, aux valeurs du renouvelable et la rotation peut s’amplifier ;
  • Victoire de Biden avec majorité au Sénat : plus négatif pour les actions en raison des hausses d’impôts sur les sociétés contenues dans le programme économique et qu’une majorité au Sénat rend plus probable. Rotation en faveur des valeurs cycliques ;
  • Victoire de Trump : continuité avec le cadre actuel : en relatif à un scénario Biden favorable aux sociétés les plus exposées à une hausse des impôts (comme la technologie) ou de la règlementation environnementale (comme l’énergie) ou financière (banques) ;
  • Scénario contesté : négatif pour les marchés actions sans distinction sectorielle, volatilité en hausse ; scénario favorable aux valeurs refuge comme le dollar et les bons du trésor (avec une incertitude sur le comportement de l’or si le dollar monte).
     

L’inconvénient principal de cette analyse des réactions de marché c’est que tout dépend également de la manière dont les marchés sont positionnés avant l’évènement, comme en atteste le précédent de 2016. L’autre limite, c’est que les pronostics réalisés sur le plan sectoriel il y a 4 ans ont été déjoués (voir infra).

 

2. Quels enseignements tirer du précédent de 2016?

Deux enseignements de la précédente élection peuvent être utiles aux investisseurs aujourd’hui :

  • Premièrement contrairement à ce que la plupart des analystes prédisaient l’élection de Trump n’a pas conduit à un cataclysme sur les marchés mais au contraire à une accélération haussière ; ceci montre l’importance des couvertures
  • Deuxièmement, à plus long terme les prévisions initiales des stratégistes actions se sont aussi révélées en partie inexactes : Une victoire de Trump était censée être favorable à l’énergie et aux banques en raison d’une posture de dérégulation mais c’est au final la technologie (censée être pénalisée par un financement de la campagne d’Hillary Clinton) qui a dominé tout le reste et a aussi profité de la réforme fiscale votée début 2018.
 

3. Quel lien entre les sondages récents, l’actualité et l’évolution des marchés?

Trois phénomènes sont intéressants à observer :

  • La corrélation inverse entre la courbe du COVID-19 et les opinions favorables à Donald Trump ;

Sondages Trump et cas de COVID-19

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Source: Bloomberg, Indosuez Wealth Management

  • La correction des marchés lors de l’annonce du COVID-19 de Donald Trump, et inversement à son retour : le 2 octobre le marché américain perd entre 1 et 2 % sur cette annonce, et  reprend 2 % le 5 octobre à l’annonce de sa sortie d’hôpital ;
  • La hausse des marchés qui se poursuit conjointement avec la montée de l’avance de Biden.
     

Sondages Biden et S&P 500

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Source: Bloomberg, Indosuez Wealth Management

Ce dernier point pose doublement question car d’une part il semble refléter une contradiction avec le point précédent (les marchés qui corrigent avec le COVID-19 de Trump et qui montent avec le rétablissement de Trump) et d’autre part car il peut refléter une évolution des facteurs déterminants des marchés.

Notre lecture de ce phénomène est la suivante :

  • Plus que le nom du candidat supposé gagner, c’est le niveau d’incertitude qui génère de la volatilité ;
  • Plus un scénario de victoire de Biden s’affirme (alors même que cela peut induire une majorité démocrate au Sénat) plus la probabilité d’un scénario contesté baisse, ce qui soutient le marché. Ce point est confirmé par la hausse de la volatilité des actions américaines le 2 octobre et la baisse (cependant modérée) de la volatilité depuis.
     

On peut néanmoins compléter cette vue avec les points 4 et 5 suivants.

 

4. Élections américaines ou stimulus : quel facteur dominant sur les actions et les taux?

Au cours des deux dernières semaines, il semble que le facteur dominant des marchés actions ait évolué, basculant de l’échéance électorale aux spéculations sur la perspective d’un plan de relance, sur lequel les revirements de positions de Trump expliquent largement les mouvements haussiers ou baissiers. Ce sujet peut conduire à relativiser le scénario électoral dans la mesure où les deux candidats poussent pour une extension du soutien budgétaire : seuls l’ampleur du plan et son allocation les différencient. Au-delà d’une poussée des actions, la montée des anticipations d’un plan de relance nourrie autant par les tweets de Trump que par les discussions entre Steve Mnuchin et Nancy Pelosi se traduit par une pentification de la courbe des taux, une rotation sectorielle et une baisse du dollar. Ce dernier point est assez révélateur du fait que la monnaie américaine se comporte à très court terme comme le baromètre du niveau d’appétit pour le risque (ce qui peut être riche d’enseignement sur le comportement du dollar en fonction des scénarios).

 

5. Les marchés d’options montrent néanmoins l’importance des stratégies de protection

Conclure au fait que les marchés se sont totalement détournés des élections pour se focaliser uniquement sur le plan de relance serait toutefois un peu caricatural. Nous sommes en fait dans une situation où :

  • les marchés actions dits « cash » ou « spot » semblent « pricer » (peut-être exagérément) un scénario accommodant (un plan de relance, une baisse de la probabilité du scénario disputé, une victoire Biden sans réforme fiscale) ;
  • les marchés d’options sur indices actions montrent une recherche de protection importante jusqu’à mi-décembre, avec une volatilité implicite élevée :
     

Volatilité implicite des options de vente S&P 500 à la monnaie (3490 pts)

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Ceci traduit sans doute le positionnement suivant des investisseurs : un scénario central constructif pour les actions, mais une recherche de protection sur un scénario alternatif à probabilité plus faible mais à effet de nuisance important.

Au-delà des élections, trois autres explications peuvent être avancées sur le niveau de volatilité actions qui ne faiblit pas :

  • une rotation sectorielle qui accroit le niveau de dispersion ;
  • beaucoup de signaux contradictoires sur les chances d’un plan de relance ;
  • des gérants long-only qui ont massivement joué la performance de la technologie et cherchent peut-être à sécuriser leur performance relative en se neutralisant à l’aide d’options.
 

6. Les marchés sous-estiment-ils l’impact d’une hausse de la fiscalité des entreprises?

C’est probablement l’aspect qui pose le plus de questions aujourd’hui : la forte avance de Biden dans les sondages ne fait pas tousser les marchés actions alors qu’on pourrait en déduire aussi une hausse de la probabilité d’une majorité démocrate au Sénat et donc de réforme fiscale. En conséquence ce risque est probablement sous-estimé et pourrait justifier la mise en place de stratégies dans ce sens.

Comment comprendre cette sous-estimation ? Une première interprétation : le marché ne croirait pas à la capacité ou la volonté de Biden de faire voter une hausse des impôts sur les sociétés ou du moins dans l’ampleur prévue. Une deuxième explication : les effets négatifs d’une hausse des impôts (plus faible que celle du programme) seraient en partie compensés par les effets positifs du plan de relance et la baisse de la probabilité du scénario contesté.

 

7. Quels secteurs seraient le plus pénalisés par une hausse des impôts?

Si on intègre à la fois l’effet des hausses d’activité générées par un plan de relance et l’effet des hausses d’impôts, l’effet est relativement asymétrique (voir graphique) : la technologie serait le secteur le plus pénalisé, à l’inverse l’industrie, l’énergie et les matériaux de base seraient moins affectés (source : Goldman Sachs).

Impact sur les BPA des réformes fiscales de Biden

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Sources : Goldman Sachs, Indosuez Wealth Management

Cet effet est de surcroît amplifié par la pentification des taux qui est favorable aux valeurs cycliques et défavorable aux valeurs à duration élevée comme les valeurs de croissance.

À court terme le secteur technologique peut sous performer mais il convient de garder un peu de recul car en face des mutations très profondes continuent d’alimenter leur croissance exponentielle.

 

8. Le dollar est-il républicain?

L’élection de Trump avait conduit à une appréciation du dollar traduisant des anticipations de reflation et de hausses de taux ; à l’inverse une élection de Biden sans majorité démocrate au Sénat, si elle devait provoquer un mouvement d’appétit pour le risque se traduirait probablement par une baisse du dollar dans un premier temps, surtout dans un contexte de taux ancrés pour les deux prochaines années à minima. Pour autant que penser des autres scenarios, et faut-il en déduire un lien entre Trump et le dollar ? En cas de victoire de Trump, on peut s’attendre à une réaction positive des marchés actions donc plutôt un mouvement baissier sur le dollar contrairement à il y a 4 ans. À l’inverse, une victoire de Biden avec le Sénat démocrate signifierait peut-être une réaction d’aversion au risque et de montée du dollar, comme en cas de scénario contesté.

 

9. L’or va-t-il se comporter comme une devise ou une valeur refuge?

Le point précédent concernant le dollar est déterminant pour le comportement de l’or. En effet, au cours des derniers mois, l’or s’est comporté non plus comme une valeur refuge, mais comme une devise inversement corrélée au dollar. Ce fut le cas pendant le choc de marché de mars dernier où le dollar a fortement progressé et l’or a corrigé, ce fut le cas inverse dans les mois qui ont suivi avec un affaiblissement du dollar et une hausse de l’or, que justifie aussi un abaissement spectaculaire des taux d’intérêt.

Donc logiquement, si l’or était une valeur refuge, il devrait progresser en cas de scénario disputé mais si sa corrélation inverse au dollar est maintenue, on peut s’attendre au mieux à sa stabilité. Sauf à changer de régime de taux d’intérêt et de régime de corrélation, nous pensons que l’or devrait rester inversement corrélé au dollar à court terme, tout en restant très soutenu dans cette phase de taux bas. À moyen terme, notre vue d’une baisse modérée du dollar s’accompagne d’une vue constructive sur l’or.

 

10. Faut-il se positionner avant les élections?

Le principal piège pour les investisseurs serait de vendre les marchés en phase incertaine pour les racheter une fois l’incertitude politique levée surtout si le scénario d’une élection disputée voit sa probabilité baisser. D’une certaine manière, les clients privés capables de se projeter au-delà de l’évènement et de supporter la volatilité, ont presque intérêt à naviguer en sens contraire des investisseurs institutionnels qui étant contraints de gérer des pics de volatilité couvrent parfois ce type d’évènement.

Pour autant, en fonction du positionnement initial de chaque investisseur et du scénario qu’il souhaite couvrir, nous pensons que les options en direct ou les produits structurés constituent de bons instruments pour soit monétiser l’incertitude en vendant des options ou alternativement mettre en place des stratégies de protection de positions préexistantes pour couvrir un scénario très dégradé.

 

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16 octobre 2020

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